
Bon, maintenant que je t’ai raconté la Crau et son foin, il fallait bien que je te parle d’une vieille tradition qui est liée : la transhumance. Une coutume millénaire qui a rythmé la vie des provençaux au mois de juin. 😎
Et toi, t’as sûrement déjà assisté à une de ces fêtes folkloriques de juin, genre Salon-de-Provence, où un troupeau traverse la ville au pas tranquille, encadré par des bergers moustachus et des spectateurs en short qui mitraillent avec leur smartphone. Spoiler : c’est pas juste pour faire joli, c’est une vraie tradition vivante. Depuis 2020, cette pratique est reconnue par l’État comme patrimoine culturel immatériel. Et en 2023, bim ! Elle tape à la porte de l’UNESCO. Oui madame, monsieur. La transhumance, c’est pas qu’un prétexte à boire un coup et à caresser un agneau : c’est du sérieux historique.
Alors ok, c’est pas une exclu 100% provençale - nos voisins du Languedoc font ça aussi - mais chez nous, elle a laissé une empreinte béton sur le paysage et les habitudes. Dans les crèches, y’a toujours un petit berger avec ses moutons. Dans nos assiettes, des fromages de brebis à gogo (ben oui, trop sec pour les vaches ici). L'expression "monter à l'alpage" (càd les Alpes toutes proches), c'est nous !
Difficile de nier le lien profond entre pastoralisme et Provence. Avec près de 600 000 brebis, la région tient la deuxième place des régions ovines françaises. Une armée laineuse dont 100 000 rien que dans la Crau (autrefois c’était près d’un demi-million... oui, ça en faisait des clochettes). La plaine de la Crau ? C’est pas juste des cailloux et du mistral. C’est le plus vieux territoire pastoral de France, attesté depuis le Néolithique. À l’époque romaine, les bergeries étaient déjà XXL, et Arles était la capitale de la laine.
Une langue et des routes
Ce nomadisme est un des rares à ne pas avoir souffert de discrimination. Mieux, au fil du temps il était attendu comme le messie dans de nombreuses régions montagneuses isolées, où les villages accueillaient festif ce cortège d’animaux et d’hommes. Des arrangements financiers permettaient aussi d’apporter une ressource supplémentaire.
On peut d’ailleurs supposer que la fameuse langue dite "franco-provençale" est le bébé de ce contact biannuel car elle est truffée par des emprunts des deux, sans contrainte politique ou invasive, juste des échanges.
Et comme il fallait bien marcher sans se perdre, on a aussi tracé des routes de transhumance, appelées "carraires" ou "carreires" : des chemins de 12 à 20 mètres de large, bordés de pierres plantées par couples, de part et d’autre, tous les quatre ou cinq cent mètres, vrais couloirs à troupeaux. Ces pistes antiques sont devenues, pour une partie, les ancêtres de nos routes modernes.
Transhumance : marche ou camion
Tu prends ton troupeau, tu montes dans les Alpes mi-juin pour échapper à la canicule, et tu redescends mi-septembre, avant l'arrivé du gel matinal en haute altitude. Le reste de l’année ? Les moutons chillent dans le sud, où l'hivers est plutôt doux. On n'est pas obligé d’enfermer les bêtes en bergerie, elles peuvent rester dehors à paitre les "regains" dans la gigantesque plaine de la Crau.
Aujourd’hui, on fait ça surtout en camion, mais quelques irréductibles marcheurs tiennent encore bon, genre les Astérix du pastoralisme. Bon, c’est plus folklorique qu’économique, faut être honnête. L’effondrement de l’élevage ovin sous les assauts du mouton néo-zélandais a laissé des traces.
Mais surprise : le pâturage anti-incendie revient en force. Les moutons en mode pompiers écolos, c’est la hype.
Le mouton, ancêtre du capitalisme ?
L’anecdote marrante : le mot "cheptel" et le mot "capital" sont liés étymologiquement et historiquement. Autrefois, dans les sociétés rurales, le cheptel était le principal capital des familles paysannes. Le mot "capital" vient du latin "capitalis", qui signifie "relatif à la tête" (du bétail). Le cheptel est une forme de richesse concrète, mobile et productive, comme plus tard le "capital". 👍
Greg - 15 juin 2025